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Introduction

1 Microbiote intestinal et effets notoires sur la santé 

2 Microbiote intestinal et cerveau : quelques maladies mentales

Conclusion

Introduction

Le microbiote intestinal ou comme on l’appelait précédemment la flore intestinale, fait l’objet d’études significatives depuis la fin du 19ème siècle. Le pédiatre austro-allemand Theodor Escherich (1857-1911) identifie et analyse, dans les années 1880, la bactérie à qui son nom sera donné « Escherichia coli » . A la même époque, le microbiologiste franco-russe, Elie Metchnikov (1845-1916) est également un des premiers scientifiques à étudier le microbiote. Prix Nobel de Médecine en 1908 pour ses travaux sur l’immunité, il préconise la consommation de yaourt (avec Bacillus Bulgaricus) pour une meilleure santé et contre le vieillissement !

La littérature scientifique actuelle présente de très nombreuses études sur le microbiote. Et, si ce dernier connait un tel essor aujourd’hui, c’est grâce aux nombreuses techniques «-omiques » (génomiques, protéomiques) qui ont permis de mieux détailler et analyser la composition des différents microbiotes intestinal, buccal, vaginal ou cutané (voir aussi https://www.immuscience.org/microbiote-intestinal-et-greffe-fecale/)

Dans les articles présentant ces nouveaux résultats, les analyses portent en général :

  • sur une ou plusieurs bactéries et leurs liens avec une maladie spécifique,
  • sur une maladie associée à un microbiote altéré,
  • sur des traitements antibiotiques et le développement d’une dysbiose,
  • sur l’influence d’infections virales comme le Covid19 etc.

Les données et les études se multiplient. Le lien entre le cerveau et le microbiote est aussi très fréquemment cité, mais toujours est-il qu’il est difficile de dire si c’est le cerveau qui influence le microbiote ou vice versa, ou encore quelles sont les interactions entre les deux parties. Il suffit de faire une simple recherche sur l’influence du microbiote intestinal sur les maladies mentales, pour obtenir une liste sans fin (des milliers de références) reprenant cette thématique déclinée de multiples façons.

Cependant, s’il est possible d’étudier le bénéfice d’une greffe fécale sur le cancer chez l’humain, les impacts sur le cerveau sont plus difficiles à évaluer et la plupart des études font appel à des tests sur des rats ou des souris.

1. Microbiote intestinal et effets notoires sur la santé

Le microbiote se développe et se transforme tout au long de notre vie et évolue en fonction de notre environnement et de notre alimentation. Il joue un rôle important dans la mise en place de notre immunité et dans le fonctionnement de notre cerveau. Un enfant prématuré peut bénéficier d’un apport extérieur pour le développement de son microbiote intestinal et ainsi favoriser une croissance adéquate du cerveau. Tout comme pour des patients Alzheimer qui présentent des microbiotes altérés, on peut envisager une greffe fécale ou un régime particulier pour tenter de limiter les pertes cognitives (voir tableau ci-dessous).

Le microbiote intestinal joue un rôle positif, par exemple, dans le cas de thérapies anti-cancéreuses (oncologie et microbiote) ou inversement délétère dans le cas de la maladie de Crohn.

Le microbiote intestinal interagit avec les différents organes du corps humain de façons très variées comme présenté dans l’article de Glowacki RWP et Martens EC de 2020: In sickness and health: Effects of gut microbial metabolites on human physiology. PLoS Pathog 16 (4): e1008370. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7144961/) .

Dans le tableau ci-dessous sont cités différents organes et des exemples de pathologies liées à des déséquilibres du microbiote intestinal dus à des excès de bactéries pathogènes, un manque de diversité de bactéries, un manque de bactéries bénéfiques, des métabolites toxiques, etc. A titre d’exemples, des références d’articles qui reprennent certaines de ces pathologies sont également présentées. Ces articles soulignent le large éventail de recherches entreprises actuellement dans de très nombreux pays, pour des pathologies très variées :

Organes Quelques pathologies Exemples d’études et références
Cerveau
(voir partie 2 )
– Autisme,
– Maladie d’Alzheimer,
– Maladie de Parkinson,
– Dépression
Aberrant gut-microbiota-immune-brain axis development in premature neonates with brain damage (sept 2021) https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34480872/ 

The Role of Gut Dysbiosis in the Pathophysiology of Neuropsychiatric Disorders (déc 2022)  https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC9818777/  
Poumons  -Asthme

-Allergies
Endothelial AHR (aryl hydrocarbon receptor) activity prevents lung barrier disruption in viral infection (août 2023) https://www.nature.com/articles/s41586-023-06287-y
Intestinal microbiota programming of alveolar macrophages influences severity of respiratory viral infection (jan 2024)  https://www.cell.com/cell-host-microbe/fulltext/S1931-3128(24)00006-4?dgcid=raven_jbs_aip_email
Coeur  Athérosclé-rose
Hypertension
-Infarctus du myocarde
The gut microbial metabolite trimethylamine N-oxide (TMAO) and cardiovascular diseases (fév 2023) https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC9941174/  
Note : TMA (trimethylamine) transformé en TMAO (Trimethylamine N-Oxide) par le microbiote intestinal. Le déséquilibre en TMAO peut être un indice de problème cardiovasculaire.
FoieJaunisseBilR is a gut microbial enzyme that reduces bilirubin to urobilinogen (Jan 2024) https://www.nature.com/articles/s41564-023-01549-x  
Tube digestif  – Maladie cœliaque
– Maladie de Crohn
– IBD
– Cancer  
Inflammation and bacteriophages affect DNA inversion states and functionality of the gut microbiota (IBD) (Fév 2024) Note: IBD Maladie inflammatoire de l’intestin https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1931312824000428?via%3Dihub
Impact du microbiote intestinal dans les cancers colorectaux (jan 2024) https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0001407923002704
Peau– Herpès
– Psoriasis
Gut–Skin Axis: Current Knowledge of the Interrelationship between Microbial Dysbiosis and Skin Conditions (fév 2021) https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7916842/
Autre/Systémique  – Système immunitaire

– Diabète


– Cancer  
Interaction between microbiota and immunity in health and disease (mai 2020) https://www.nature.com/articles/s41422-020-0332-7
Gut microbiota in the pathogenesis and therapeutic approaches of diabetes (nov 2023) https://www.thelancet.com/journals/ebiom/article/PIIS2352-3964(23)00387-0/fulltext
Major medical scientific programme to assess the impact of microbiota in cancer treatment (Programme à Gustave Roussy) https://www.gustaveroussy.fr/en/clinicobiome-programme
Microbiote intestinal et ses effets sur la santé

2. Microbiote intestinal et cerveau : quelques maladies mentales

Comme indiqué plus haut, la liste des maladies liées au microbiote intestinal apparait sans fin. Le microbiote intestinal est impliqué dans la digestion des nutriments, la production d’un grand nombre de métabolites, la protection contre des pathogènes, l’implication dans le système immunitaire.

Plusieurs mécanismes de communication entre le cerveau et le microbiote intestinal ont été identifiés tels que :

  • l’innervation via le nerf vague,
  • l’activation de l’axe Hypothalamus-Hypophyse-Surrénal,
  • la production de neurotransmetteurs (dopamine, norépinephrine, sérotonine, GABA (Acide Gamma-Aminobutyrique)) ou
  • la modulation du catabolisme des neurotransmetteurs de l’hôte (Neurotransmitter modulation by the gut microbiota  https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6005194/ )

Les résultats des études soulignent très souvent le lien entre l’équilibre du microbiote et un bon mental, le bien vieillir avec le bien manger. La dysbiose est quant à elle souvent associée au stress, aux maladies digestives bien sûr mais aussi aux maladies cardiovasculaires ou mentales. Mais il est encore difficile d’identifier avec certitude les processus liés au microbiote intestinal, qui sous-tendent les maladies de Parkinson, d’Alzheimer, la schizophrénie, la dépression ou l’autisme.

Les explications proposées sont nombreuses et variées. Dans le cas du Parkinson, une protéine produite par l’E.coli transmettrait, via le nerf vague, l’information d’un mauvais repliement de l’alpha-synucléine qui induirait la maladie de Parkinson. D’autre part, des analyses du microbiote intestinal ont relevé la perte de neurones entériques bien avant l’apparition des symptômes neurologiques de la maladie (jusqu’à 20 ans avant). D’après une étude récente, des lymphocytes TCD4 de l’intestin attaquerait l’alpha-synucléine et entrainerait ainsi la perte de neurones entériques. D’autre part, certains médicaments utilisés pour traiter le diabète tels que GLP-1 apporterait une protection contre le Parkinson. Ces substances sont connues pour réduire l’inflammation et pourrait expliquer la protection de neurones producteurs de dopamine. Toujours est-il que l’analyse des microbiotes de malades du Parkinson présente une augmentation de pathogènes opportunistes et une diminution de bactéries bénéfiques (Characterizing dysbiosis of gut microbiome in PD https://www.nature.com/articles/s41531-020-0112-6 ).

Le microbiote des patients souffrant de la maladie d’Alzheimer est lui aussi modifié et présente un déséquilibre avec celui de personnes saines. Mais, l’identification précise des bactéries qui sont à l’origine du déséquilibre est complexe de même que le processus qui en découle. D’autre part, la maladie d’Alzheimer est aussi associée à divers agents infectieux tels que les virus Herpès, Epstein-Barr ou la bactérie Helicobacter pylori. Une infection sévère et un niveau d’inflammation élevé peuvent aussi être à l’origine de la maladie. Le projet Alzheimer Gut Microbiome Project (AGMP) étudie la contribution du microbiome dans la maladie d’Alzheimer. Le site de ce projet alzheimergut.org vaut le détour et propose régulièrement de nouvelles publications.

Des observations similaires ont été faites pour la schizophrénie. On a observé des différences du microbiote intestinal de personnes atteintes de schizophrénie comparé à un groupe contrôle (JAMA Psychiatry. 2024;81(3):292-302. doi:10.1001/jamapsychiatry.2023.5371). Cependant, la prise de différents médicaments et de drogues doit être prise en compte car les modifications induites peuvent altérer les résultats.

L’autisme, trouble complexe du neurodéveloppement, est souvent associé à des origines génétiques et environnementales. L’autisme pourrait se développer suite à une infection virale chez la mère. Des bactéries stimulées par un type de lymphocytes T (Th-17) pourrait entrainer une cascade de réactions donnant lieu à des molécules affectant le cerveau du fœtus et permettant le développement de l’autisme. L’autisme est souvent caractérisé par des problèmes gastrointestinaux (crampes d’estomac, diarrhée) et le microbiote intestinal d’un patient autiste apparait moins varié avec un taux plus élevé de bactéries pathogènes. Les projets européens GEMMA et CANDY qui doivent livrer leurs résultats fin décembre 2024 étudient les liens entre l’équilibre intestinal et les troubles du spectre autistique. Le but de GEMMA est d’identifier des traitements (prébiotiques, probiotiques) qui amélioreraient l’état des patients et celui de CANDY est de caractériser les microbiotes et le niveau des symptômes associés.

L’impact du microbiote intestinal sur l’état de dépression est lui aussi étudié mais surtout sur des modèles animaux. Chez l’humain, des corrélations sont recherchées entre différentes espèces de bactéries et l’état général de personnes saines ou atteintes de dépression (https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30718848/ The neuroactive potential of the human gut microbiota in quality of life and depression). Cependant, le manque d’appétit, le manque de sommeil, l’isolement sont des facteurs qui vont altérer l’équilibre du microbiote. La question est toujours la même : quelle est l’origine du déséquilibre. Le microbiote en dysbiose entraine-t-il une souffrance mentale ou la dépression entraine-t-elle la dysbiose ? Les bactéries produisent et/ou consomment de nombreux neurotransmetteurs (dopamine, noradrénaline, sérotonine, GABA) ; et peuvent modifier les quantités relatives des métabolites nécessaires à un fonctionnement équilibré.

Manger des aliments ultra transformés pauvres en vitamines et en fibres, pourrait augmenter le risque de dépression (Consumption of Ultraprocessed Food and Risk of Depression doi:10.1001/jamanetworkopen (2023)), l’étude récente sur plus de 30 000 personnes souligne, à la fois, l’effet néfaste de la nourriture ultra-transformée mais aussi la difficulté de cerner la problématique. Il est très difficile d’isoler les effets uniques d’une alimentation déséquilibrée et de les dissocier d’autres paramètres tels que l’isolement, un horaire irrégulier (cycle circadien décalé) ou un environnement hostile.

De façon plus générale, si on prend en compte la personne âgée, on observe des bonnes bactéries en diminution, des mauvaises en augmentation ou de nouvelles bactéries pathogènes en développement. Or la dépression apparait aussi très souvent avec l’âge. La question persiste : la souffrance mentale est-elle à la base de la dysbiose ou la dysbiose entraine-t-elle la dépression ?

Conclusions

La possibilité d’étudier le microbiome nous amène à le voir comme interférant dans toutes les maladies et tous les traitements.

Comme le génome et le système immunitaire, le microbiome est pourtant un système complexe. Et, si le microbiote apparait plus facile à atteindre et à manipuler, il est essentiel de ne pas perturber son équilibre. Et, en essayant de le modifier et de l’améliorer, on pourrait au contraire favoriser le développement de bactéries qui vont s’avérer pathogènes et se développer dans la niche laissée vide (comme dans le cas de l’utilisation non contrôlée d’antibiotiques).

Les bactéries de notre microbiote ont besoin d’une alimentation variée et saine. La prise de probiotiques ou de prébiotiques peut s’avérer positive mais nécessite des conseils avisés. Si le microbiote intestinal présente des caractéristiques et fonctionnalités similaires entre individus, il apparait tout comme pour le génome, propre à chacun. Nos microbiotes peuvent nous prédisposer à certains dérèglements, certains équilibres sont plus fragiles que d’autres et être plus susceptibles à l’inflammation. Aujourd’hui, des essais sont aussi réalisés pour modifier certaines bactéries du microbiome avec l’outil CRISPR et favoriser la production de métabolites recherchés.

Donc, bien sûr, si le microbiote apparait déréglé dans les troubles psychiatriques, il est plus que tentant d’essayer de remédier à ces troubles en rétablissant l’équilibre de ce microbiote (Can gut microbes play a role in mental disorders and their treatment? https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28291971/ ).

Le microbiote est donc un axe supplémentaire pour le traitement de multiples pathologies. Un outil d’appoint complexe qui nécessite un apprentissage précis et de l’expérience.

A noter encore que la majorité des travaux d’analyse se sont jusqu’à présent concentrés sur les bactéries, il ne faut pas oublier « le virôme » et « le mycôme » intestinaux . Bref, tout un petit monde intérieur qu’il nous faut garder à l’équilibre.